Chaque fois que je suis interviewé par des journalistes, la dernière question est toujours la même : qu’est-ce que je prévois dans l’avenir du tatouage. Et je réponds toujours qu’aujourd’hui il est peut-être plus facile de prédire les investissements en bourse que de comprendre ce qui se passera dans le tatouage à l’avenir parce que son destin est toujours plus étroitement lié à la technologie et à la mentalité des nouveaux tatoueurs qui change radicalement à une vitesse vertigineuse.
Il y a encore une vingtaine d’années, un tatoueur devait être dessinateur. Il y a toujours eu des tatoueurs qui faisaient des walk-ins en copiant et tatouant simplement les croquis d’autres artistes, un classique de la Old School, par exemple. Mais la plupart d’entre eux écoutaient la demande du client, faisaient un dessin sur papier et réalisaient ensuite le tatouage.
L’apparition de l’Ipad a déclenché la première révolution, car la réalisation de dessins numériques à transférer sur la peau nécessitait beaucoup moins de préparation artistique, on pouvait annuler les lignes tracées en un clin d’œil, et à mi-chemin du dessin il suffisait d’un clic pour ajouter l’image en miroir. Par la suite, de nombreux programmes sont apparus, spécialement conçus pour les tatoueurs : des stylos qui créaient toutes sortes de motifs, des écailles de dragons et de serpents aux chaînes, en passant par les cordes… Il suffisait de déplacer le stylo sur l’écran et le tour était joué.
Aujourd’hui, de nombreux tatoueurs s’enthousiasment pour l’intelligence artificielle, ce qui signifie effectivement que l’habileté artistique manuelle commence à disparaître et, avec elle – ce qui me désole le plus – la créativité et l’intuition artistique du tatoueur. Pourquoi se donner la peine de trouver une façon de faire des pièces toujours fraîches et intéressantes quand il suffit de taper quelques mots et que l’IA vous propose tout ce dont vous avez besoin ? J’espère ne pas être le seul à avoir remarqué que les tatoueurs expriment de plus en plus souvent leur enthousiasme pour cette nouvelle voie sur les réseaux sociaux.
Sans s’apercevoir que le côté artistique humain s’estompe, ou plutôt s’étiole, empoisonné par la commodité qu’il faut désormais n’être qu’un bon exécutant pour tatouer. Il y a quelques jours, un tatoueur m’a envoyé une vidéo. Il s’agit d’une machine avec un écran sur lequel on peut choisir une quantité illimitée de motifs. Dans la vidéo, on peut voir comment, en posant l’écran directement sur une partie du corps, il ne faut que quelques secondes pour qu’un tatouage temporaire apparaisse sur la peau de la personne. Cela fait des années que l’on expérimente les imprimantes 3D afin de pouvoir produire des tatouages sans aucune intervention humaine. J’espère que cela n’arrivera jamais, mais malheureusement, depuis que les portes du tatouage se sont ouvertes à tout le monde, de plus en plus de personnes cherchent dans la technologie la solution ou plutôt la potion magique pour dépasser leurs limites artistiques et techniques…
Tout ce que je peux espérer, c’est que les vrais collectionneurs de tatouages continueront à exiger un vrai tatouage, qu’ils ne se contenteront pas d’un autocollant réalisé en dix minutes comme sur une chaîne de production. Espérons qu’ils voudront un dessin et une pièce réalisés et créés sur leur corps sur la base d’un échange humain, verbal et physique, ce moment singulier que nous partageons tous avec notre tatoueur.